dimanche 23 janvier 2011

J'ai mal à ma Culture

La communauté historienne est en deuil ou presque, les auditeurs assidus de France Inter aussi.
Depuis vendredi, le petit monde de l'Internet un peu culturé se désole. Tout est parti d'une rumeur (pour une fois presque vrai) selon laquelle France Inter arrêtait la diffusion de son émission 2000 ans d'histoire proposée par Patrice Gelinet.
En réalité il s'avère que l'ancien patron de France Culture (de 1997 à 1999) est nommé au CSA. En conséquence France Inter lui cherche un remplacant.
Mais avouons le, cela ne sera jamais plus pareil. Dans la vraie vie de tous les jours, 2000 ans d'histoire est l'émission la plus podcastée de France. En grande partie grâce à un lobbying actif des professeurs d'université.


 Je me souviens (il a fort fort longtemps) lors de mon premier cours, de ma première année de fac quand mon fabuleux prof d'histoire contemporaine nous a expliqué avant tout qu'il nous fallait absolument écouter les émissons du type La fabrique de l'histoire et 2000 ans d'histoire. Oui il y a des classiques qui ont bercé les milliers de jeunes premières années.

Tout cela pour partir jouer le censeur au CSA. Shame on you Mr Gelinet.
Ca c'était vendredi.



Mais vendredi, la culture a pris encore un coup de l'aile quand notre le ministre thailandais de coeur de la culture a pris la décision "citoyenne et républicaine" de sortir l'anniversaire de la mort de Louis Ferdinand Céline de la liste des commémorations officielles 2011.
Ici nous sommes d'accord, Céline était un salaud antisémite mais quand même un putain de génie. Un maitre de la littérature et l'un des plus talentueux  écrivains du XXe siècle au même titre qu'Albert Camus.

Or une des premières choses que l'on apprend aussi en première année d'histoire c'est à comprendre les ressorts et les causes d'une époque, ce qui implique souvent de mettre de coté notre vision humaniste, égalitariste ou droit de l'hommiste. Mais comprendre n'est pas justifier. De toute façon, le travail ne se situe pas à cette étage.
Apprendre à faire la différence entre le comportement des gens et leur production. Voila ici ce qui importe.
Si demain, un groupe d'illuminés, ultra conservateurs, se pointait au ministère de l'éducation en demandant la suppression des programme de Baudelaire sous pretexte qu'il avait des tendances homosexuelles, la France entière s'indignerait en criant qu'il ne faut pas toujours au patrimoine national.

(Attention je ne mets pas sur un même pied antisémitisme et homoséxualité, j'avais juste besoin de l'exemple d'un auteur qui pourrait être attaqué sur sa vie plutôt que sur ces oeuvres.)

Patrimoine national, c'est bien de cela dont il est question dans cette affaire. L'un des problème étant que la France a du mal a faire la paix avec son passé et son histoire. Elle s'autoflagelle quand le politiquement correct l'exige quand elle ne s'engage pas dans des débats qui ne devraient pas être du ressort du politique à l'instar de la question du role positif de la colonisation.
Faire la paix avec son passé est d'autant plus difficile quand il existe encore des témoins des évenements qui prend son expérience et son ressenti pour la seule et unique vérité et qui tente d'influer sur l'écriture de cette Histoire.
Je m'éloigne mais pas tant que cela. Dans le cas de Céline c'est cette écriture de l'histoire qui est au coeur de la polémique et fait perdre de vue l'essentiel, l'aspect profondement culturel.
L'an dernier la France célèbrait les 400 ans de la mort d'Henri IV. Si le personnage politique est fabuleux, coté privé, il y aurait tellement à redire. Pourtant on a passé cette partie sous silence.

On créait des gentils et des méchants pour pouvoir se raccrocher à des valeurs qui seraient caduques de leur temps. Mais nous en avons besoin pour rester un brin optimiste.



La question étant doit-on subordoner la culture (et l'histoire de fait) aux exigences du politiquement correct? Je ne vous ferais pas l'affront d'une dissertation sur le suje.
Mais un pays qui a honte de son histoire et de ses productions, à titre personnel ça me fait peur. C'est ainsi que l'on commence à réécrire l'histoire au service d'une identité nationalement tronquée alors qu'au contraire, c'est ce qui devrait cimenter une communauté.

Face aux polémiques permanentes, il reste certain que nous sommes dans une période skyzophrène où la médiatisation passe avant la qualité. Car à l'instant où nous clamons la réussite des grands expos telles celles de Picasso ou de Monet, le même ministère boycotte et fait fermer une exposition qui se tenait aux Archives Nationales. Pourquoi? Pour faire plier des grévistes de ces mêmes Archives.

Aujourd'hui le service public culturel est à la dérive ou pire encore, il s'autodétruit.

Si tu as eu le courage de tout lire, félicitations pour la peine un jour peut-être je vous parlerais du projet de "Musée de l'Histoire de France".

8 commentaires:

  1. j'ai tout lu, et je suis plutôt d'accord avec toi( sauf sur le politiquement correct, qui n'est selon moi qu'un nouveau jouet pour l'extremisme, cela dit, la partie " thailandais de coeur " me choque un peu. Parce que j'y vois une attaque basse sur la vie de F.M, procédé qu'ensuite tu démontes dès qu'il est question de Baudelaire ou de Céline. La aussi il faudrait d'abord comprendre au lieu de justifier ou d'accepter, non ? Parce que bon, la pédophilie dans le bouquin de FM, c'est Marine LePen qui est allé la créer, et pour le coup, elle n'a rien du génie littéraire de Céline. Ou alors c'est bien bien caché...

    ( Je ne suis pas en train de troller, c'est juste qu'attaquer Mitt, sur ses aventures en asie, je supporte pas)

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  2. La polémique sur le retrait de Céline des célébrations est surtout venue du terme "célébration". Certes, les journalistes sont souvent peu précis et il faut aller voir plus loin pour connaître le détail des choses. Klarsfeld n'aurait rien dit (d'après lui) si le terme "commémoration" avait été utilisé.
    Quant à Céline, c'est vrai que les époques varient, mais plusieurs années après la guerre, il refusait de renier ses paroles et affirmait encore être antisémite.

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  3. Mmmhhh bon, on ne va pas se mentir : j'ai jamais ouvert un bouquin de Céline, et je n'ai jamais écouté 2000 ans d'histoire (par contre, la tendance ce serait plutôt 2000 bouquins d'histoire chez moi ^^), mais j'aime bien ton article. Même, sur le fond, je suis d'accord avec toi. Mais en même temps, l'antisémitisme est encore trop sensible, je pense, pour qu'on puisse célébrer même seulement l'écrivain avant l'homme.

    Enfin bon, le problème de ce genre de sujet, c'est que le débat est sans fin, trouver le juste équilibre relève du euh ... très très très très difficile :(
    (Mais bon, je suis une odieuse blogueuse plutôt à droite, alors t'as le droit de me bannir à vie de ton blog :p)

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  4. Pour "2000 ans d'histoire", je pleure depuis que je l'ai appris...
    Je ne savais pas pour Céline, et n'ayant pas suivi l'affaire je n'ai pas d'avis dessus, si ce n'est que sur le principe de séparer l'auteur de sa production littéraire, je suis d'accord. J'ajouterai même qu'on peut également reconnaître le génie sans aimer : personnellement, je n'ai JAMAIS accroché à l'univers de Céline, quelque chose fait que je n'ai jamais réussi à "entrer" dans son écriture, pour autant je reconnais son rôle prépondérant en littérature. Henry Miller me fait le même effet : quand j'ouvre un de ses livres je me dis "bon Dieu quel génie/précurseur", mais rien à faire, ce n'est pas ce que j'aime lire. Bref je m'éloigne du sujet.
    Je me battais aussi récemment contre le politiquement correct sur mon blog. Mais je crois qu'à la question "faut-il subordonner la culture et l'histoire aux exigences de celui-ci", la réponse est que malheureusement, c'est toujours un peu le cas, non? Je veux dire, de la même façon que l'histoire a été écrite par les vainqueurs (même si certains travaux tendent à la réécrire de façon plus objective) et que cetaines choses ont été passées sous silence, à certaines époques, on a censuré tel ou tel pour des raisons X ou Y (en vertu de la morale et des bonnes moeurs, ect), qui étaient alors le politiquement correct de l'époque. Je ne dis pas que je cautionne cela, au contraire, mais il me semble hélas que ça s'est toujours fait... Cela étant, je me passerai de dissertation et répondrai volontiers à la question : non, il ne faut pas (et paf, 2/20 pour ma copie!)

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  5. Plus qu'un post, une véritable tribune comme j'aime !
    D'abord, Sarko s'en fou de plomber les ailes de la culture avec des nominations, et je suis certain qu'il n'a jamais écouté 2000 ans d'histoire (son niveau lamentable parle pour lui)

    En ce qui concerne Céline, je pense que la virulence du racisme de l'homme l'a définitivement emporté sur son génie. Je suis resté longtemps mitigé sur Céline, mais Bagatelles pour un massacre et L'école des cadavres me dégoutent tellement que je n'ai plus trouvé de plaisir à lire ses romans. C'est mon opinion et elle n'engage que moi bien sûr !

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  6. Je suis très triste pour 2000 ans d'histoire. Un des émissions de très grand qualité d'Inter qui disparait, c'est triste.
    Et je suis d'accord avec toi sur Céline. C'est un très grand écrivain, et on peut dire ça en étant horrifié par ses prises de position politiques. Rejetter Céline-l'écrivain à cause des propos de Céline-l'homme m'énerve autant que ces gens qui expliquent qu'il ne faut pas lire Sénèque parce qu'il était le plus proche conseiller de Néron. Ou qui reprochent l'Emile à Rousseau parce qu'il a abandonné ses gamins à l'assistance publique.
    A un moment, il faut savoir différencier l'oeuvre de l'homme qui l'a écrite.
    Parce que sinon, il ne faut plus lire ni Balzac, ni Walter Scott dont les descriptions de Gobseck et d'Isaac de York respectivement, sont parfois d'un antisémitisme révoltant.

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  7. J'ai parfois (souvent) l'impression quand je vois les programmes de ma matière, les niveaux attendus, et les exigences en matière de "correction" parallèlement au ressenti et aux réactions des élèves, de leurs parents, à leur motivation et leurs centres d'intérêts, que de plus en plus la culture au sens le plus large du terme, devient inaccessible. Un peu comme si elle était réservée à une certaine élite, or ça n'est pas encore le cas (j'espère) et ça ne devrait surtout pas l'être!!
    Bien évidemment, les personnes qui ne sont que dans une culture de consommation sont beaucoup plus malléables...

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  8. @céline: le problème ce n'est pas céline-l'homme... mais bien céline-l'écrivain, dont un pan entier de l'oeuvre se repaît d'antisémitisme (confer M1). certes, les pamphlets sont difficilement trouvables et "bagatelles pour un massacre" d'occase sur un site tel amazon se négocie autour du prix d'un kilo de caviar, mais ça va mieux en le disant...

    @isleene: le gros problème de la france , ce n'est pas de faire la paix avec son passé, mais de s'en délecter, au contraire. ici, tout se finit par des chansons et des célébrations. les remises de médaille, et l'institution de saints laïques font le bonheur de nos élites. et quoiqu'en en dise, cette histoire autour de céline, dont l'oeuvre n'a aucunement besoin de ce genre de pathétiques cérémonies, montre bien qu'on les apprécie, nos petits fascistes... un contemporain de l'inénarrable louis ferdinand, à l'écriture tout aussi puissante, mais qui avait le défaut d'être de gôche (et même s'il n'est certes pas oublié - la publication récente d'un "quarto" en atteste) n'a jamais fait néanmoins autant de ramdam: http://bertfromsang.blogspot.com/search/label/louis%20guilloux

    haïssons-les gaiement, toutes les oficielles commémorations...

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